L’autre paire de lentilles lui avait été donnée par un autre opticien, d’un
emballage complètement différent, c’était la seule qui restait de ce type. Au
début, Aurore ne remarqua rien de spécial. Mais au fur et à mesure que les
jours passaient, elle avait commencé à voir le monde différemment par chaque
œil. Aurore ne savait pas ce qu’elle regardait vraiment, c’était une sorte de
nouvelle dimension qu’elle nommait naïvement l’aura des choses.
Le bonheur de sa récente vision était tel qu’elle ne voulait enlever
cette paire de lentilles pour rien au monde. Même si son œil commençait à être
rouge après la date de péremption, ça ne le dérangeait pas. Quand la
démangeaison devenait insupportable et seulement parce que les larmes troublaient sa vision, Aurore enlevait la
lentille quelques heures, juste le temps de reposer un peu ses yeux.
Myope depuis son enfance, ces derniers mois Aurore vivait brouillée d’un
œil, en extase de l’autre. Et elle aurait pu acheter une nouvelle paire de
lentilles, elle le savait, mais elle ne fut pas capable de trouver cette
merveille à nouveau. Condamnée, elle préféra conserver son mi-regard heureux.
Quand la miraculeuse lentille finalement est devenue inutilisable, le
regard d’Aurore avait changé à tout jamais : d’une partie bigleux, de
l’autre cataracteux. Mais quand les gens lui reprochaient son comportement
stupide avec ses yeux, Aurore les regardait d’un sourire nirvanien et leur
disait, « ouais, mais quelle merveille ! »
Raquel
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